Confusion et addiction-2

Bonjour! Aujourd'hui je vous mets la suite de ma chronique"Confusion et addiction":

Partie 2:

Tout le monde est déjà sorti sauf moi qui suis à la traîne. Lorsque je mets mon manteau, Monsieur Labourdin m'interpelle. 

« Tu étais subjugué par le cours mon petit ! »

J'espérais qu'il me remarquerait et m'adresserait la parole.

« Oui ! La façon que vous avez eu de parler des fleurs et du rapprochement avec l'homme était un véritable enrichissement pour moi !

-Comment t'appelles-tu ?

-Sylvain.

-Eh bien si ce sujet te passionne autant, tu n'auras qu'à passer à mon laboratoire quand tu pourras.

-Oh oui ! J'en serai ravi. Mais le sujet qui me passionne le plus ce n'est pas la reproduction des fleurs mais plutôt l'ignorance.

-Ah ! Ce sujet est un plaisir à étudier. Mais nous en parlerons quand tu viendras me rendre visite à mon laboratoire, il se trouve deux rues après l'école, je ne voudrais pas te mettre en retard. 
-D'accord, à bientôt ! »

Je ne suis jamais ressorti de cours en sautillant comme un enfant innocent qui ne savait pas ce que lui réserve l'avenir avec ce professeur. Tout à coup, je m'arrête dans mon élan et réfléchi à ce que je viens de penser. Puisque j'ignore ce que me réserve l'avenir, et que je suis resté quelques instants innocent sans penser à rien, l'ignorance aurait-il un rapport avec l'innocence ? Comme je n'ai pas mon dictionnaire à porter de main, j’essaie de réfléchir ; mais je dois dire que je n'arrive à aucune conclusion concrète. Paralysé par cette question, je n'écoute plus les cours. Je me contente seulement de suivre le groupe tel un agneau suivant le troupeau. Heureusement, la sonnette du collège me sauve de mon ennui. Aussitôt mes affaires rangées dans mon sac, je me précipite chez moi, non pas pour faire mes devoirs, mais pour chercher cette fameuse définition de l'innocence. 
Alors...innervation...innerver...Innocence : « État de quelqu'un qui est incapable de faire du mal. Absence de culpabilité. Naïveté. » 
Le dernier mot me fit ouvrir la bouche en grand. « Naïveté ». Tant de professeurs et d'élèves m'ont répété si souvent cet adjectif sans que je ne comprenne réellement ce que cela voulait dire. Mais pour je ne sais quelle obscure raison, j'avais complètement oublié de chercher sa signification. Et ce n'est qu'aujourd'hui, aujourd'hui seulement que je vais ouvrir mon dictionnaire et la chercher. Ma main éprouve une certaine réticence à obéir à mon cerveau, mais je me dois de satisfaire mon avide curiosité. Alors, je tourne les pages une par une, pour être sur de ne pas manquer le mot. Ça y est ! Il est là, sous mon nez. Naïveté : « Ingénuité. Excès de crédulité. Propos naïfs. » 
Ce n'est pas tout, il y a une citation de René Crevel, elle dit : 
« Il faut beaucoup de naïveté pour faire de grandes choses. » Et c'est cette phrase qui me fait réfléchir et qui contribue à m'exclamer :

« Suis-je promis à de grandes choses ? Si un enfant est synonyme de naïveté parce qu'il ignore tout, cela voudrait donc dire que tous les êtres humains sont promis à une grande destinée ?! » 

Cette réflexion me parait plausible puisque nous passons tous par l'enfance.

C'est alors que j'entends ma mère qui me dit, tout en ouvrant la porte de ma chambre :

« Ah ça, je ne sais pas Sylvain mais ce dont je ne doute pas, c'est que toi tu sois promis à de grandes choses. Je prie pour que cela arrive. 

-Je crois connaître quelqu'un qui pourrait répondre à cette question. Il m'a proposé d'aller lui rendre visite à son laboratoire. C'est Monsieur Théophile Labourdin, un professeur qui est venu nous voir en classe de science tout à l'heure. C'est un grand chercheur et scientifique. Il nous a parlé de la reproduction des fleurs avec passion. J'étais vraiment ému ! Puis-je m'y rendre demain après l'école ?

-Je ne t'ai jamais vu aussi enthousiaste, ça me fait plaisir de te voir dans cet état d'esprit ! Bien sur que je suis d'accord, mais ne rentre pas trop tard. »

J'acquiesce. Ma mère sort de ma chambre en fermant la porte. Je me remets à penser à ma naïveté. En quoi le fait d'être naïf pourrait être à ce point un problème ? Qu'en pensez-vous ? Peut-être qu'à force d'être trop naïfs, cela nous conduit à faire des choses stupides que l'on ne soupçonne pas de l'être à première vue. Peut-être est-ce cela la rapport avec l'ignorance ? Cette question me revient sans arrêt dans la tête sans que je puisse l'en empêcher. Ma soirée se déroule une fois de plus dans le questionnement. Passionnant, n'est-ce pas ? Cela vous ennuie peut-être mais moi cela me ravit, et je sens bien que je ne suis pas au bout de mes surprises. 
Ce matin, je me lève avec entrain et bonne humeur. J'enfile rapidement le pull gris en laine que ma mère m'a tricoté, ainsi que mon pantalon favori. Sans oublier mon fidèle dictionnaire. Je veux être le plus présentable possible pour me rendre chez le professeur après les cours. Je prends un croissant en guise de petit déjeuner tout en me précipitant au collège. J'arrive juste à temps. 
Les cours d'histoires ne m'intéressent absolument pas, je préfère de loin les leçons de géographie. Le fait d'étudier un pays à des milliers de kilomètres ne fait qu'accroître mon désir de le connaître, lui, et ses coutumes. Qui plus est, cela me fait faire des rêves d'évasion. En me projetant dans un ailleurs inconnu où je pourrais tout savoir, la langue, la nourriture etc. Ce serait vraiment merveilleux ! Merveilleux ? Voilà encore une notion dont je ne sais rien, toutefois, je sens que je vais bientôt le découvrir, très bientôt même. 
Sauvé par le gong ! Je peux enfin sortir de cette matière ennuyeuse et aller dans celle qui est devenue ma préférée : les sciences. Rien de mieux qu'un cours de sciences pour me faire retrouver le sourire. La professeur nous dit en écrivant au tableau le titre de la leçon : 

« Aujourd'hui nous finirons d'étudier la reproduction des fleurs dans leur habitat naturel et ensuite vous ferez un contrôle sur tout ce que vous avez pu apprendre avec Monsieur Labourdin. »

Toute la classe pousse un soupir de désespoir, sauf moi, qui suis fou de joie. Les élèves m'ont tous regardé avec dédain, comme un animal qui est trop différent de ses congénères. Nous sommes tous égaux puisque nous sommes tous des êtres humains. Alors pourquoi se dévisager les uns des autres à cause d'une opinion différente ?! Mais je m'égare.
Mes yeux ne quittèrent pas une seconde les mains de notre professeur. Je n'aurais jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous, réussir aussi facilement un contrôle ! Je suis heureux de travailler sur les fleurs. Est-ce ma rencontre avec Monsieur Labourdin qui m'a rendu si sensible à ce sujet ? Je le pense très fortement. Quoiqu'il en soit, je suis sur et certain d'avoir une bonne note cette fois-ci. Le contrôle terminé, la cloche sonnée, nous sortîmes du cours pour aller déjeuner. L'heure du repas est un moment privilégié pour moi, c'est le seul instant où la pression des cours retombe et où les élèves ne me dévisage pas. 
Après cela, je vais rejoindre ma classe. Comme tous les jeudis, nous allons en sport. C'est la matière que je trouve la plus inutile et la moins intéressante. C'est dépourvu de toute intelligence. Ce qu'il faut pour faire du sport, ce sont des muscles. Puisque je n'en ai pas, c'est moi le plus mauvais. Le seul point positif, c'est que cela aide à rester en bonne santé. 

« Aujourd'hui, nous allons non seulement travailler notre aptitude à rester zen mais aussi notre esprit. »

L'une des élèves demande : 

« Mais comment ?

-Nous allons faire du yoga, mais avant cela, il faut s'échauffer en faisant des gestes gracieux et fluides. »

Comment allait-elle pouvoir faire des gestes gracieux et fluides avec des bras de camionneurs, des jambes de fer et un corps d'une telle musculature ? Cette dame est tout sauf gracieuse et féminine. 
Encore une fois, je m'égare dans des détails. Après avoir regardé attentivement sa gestuelle, on la reproduit à la perfection et nous passons au yoga. 

« Formez un arc de cercle. Mettez-vous en position. Pliez bien vos jambes. Fermez les yeux. Inspirez, expirez. Bien, je vais maintenant placer une bougie devant chacun d'entre-vous. Le principe est de se vider de toutes pensées négatives pour qu'elle reste allumée le plus longtemps possible. Si j'en prends un ou une qui s'amuse à souffler sur la bougie, il aura une heure de colle. Des questions ? »

Personne ne répond, alors Madame Berçy s'exclame : 

« Bon ! Eh bien, que l'exercice commence, je lance le chronomètre. »

Je trouve cet exercice un tantinet plus intéressant qu'en temps normal. Je ne veux pas non plus être collé, je le prends très au sérieux au point de me concentrer sur la bougie et uniquement sur la bougie. Plus rien ne compte, pas même mon rendez-vous avec le professeur Labourdin. Plus le temps passe, plus je me sens calme, serein... à propos, qu'est-ce que ce mot signifie ?
Cette réflexion me fait ouvrir les yeux. Je regarde à droite, à gauche, plus personne n'a les yeux fermés. Les autres me regarde, encore une fois, comme si je suis un animal qu'ils ne connaisse pas. Sauf que là, ils ne se contentèrent pas de me regarder de la sorte, j'entends des commérages qui disent : 

« Cet exercice lui va bien, étrange comme il est ! »

Mais Mme Berçy, qui n'aime pas ce genre de remarque, me défend :

« Ça suffit vous deux ! Vous feriez mieux de prendre exemple sur Sylvain au lieu de vous moquer ! »

J'étais sûr qu'elle avait un bon fond ! Je lui souris, en gage de remerciement. La cloche sonne, je peux enfin aller chez le professeur ! 
Je prends mes affaires et cours en dehors de l'école. Selon Mr Labourdin, ce n'est pas très loin. Je vais vite mais sans me presser pour trouver ce fameux laboratoire. Après quelques minutes de marche, un bâtiment d'un blanc rayonnant se trouve là, en face de moi. On ne peut pas le manquer. Rien qu'en le voyant, je suis sur de ne pas être déçu. Pour immortaliser ce moment, je fais des pas lourds ; mon corps a du mal à avancer. C'est probablement le trac, j'ai attendu cet instant toute la journée. Je ne sais pas ce que je vais découvrir. Je suis à la fois excité et craintif. Pourquoi ? Est-ce qu'une mauvaise nouvelle m'attend ?